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"Je suis le saint, en prière sur la terrasse - comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer
de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée
de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains; la rumeur des écluses couvre mes pas...
Je serai bien l'enfant abandonné sur la jetée parti à la haute mer, le petit valet, suivant l'allée
dont le front touche le ciel."
Rimbaud (Les illuminations)
Lisant ce poème de Rimbaud, je me demande : et moi, qui suis-je?
Et vous qui êtes-vous?
Evidemment, ce poème me renvoie à celui de Pablo Neruda que j'ai publié il y a quelques jours,
sommes-nous donc si nombreux?
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Cela fera bientôt cinq ans, nous dit-elle, qu'elle est entrée ici. C'était au mois de juin.
D'abord, elle était avec son mari, il avait été gravement malade, elle n'était pas très solide elle non plus...
Ils ont accepté d'être transférés directement de l'hôpital à la maison de retraite.
Quand il est mort , deux ans après, elle n'a pas voulu qu'on la transfère dans une chambre individuelle,
il lui semblait qu'il était encore là dans cette chambre où ils avaient passé leurs derniers mois
de vie commune...Sans doute pensait-elle qu'elle allait bientôt le rejoindre...
Mais non, la vie est plus forte.
Elle ne se plaint jamais...Je l'ai toujours connue avec le sourire...Mais, à présent, chaque fois que je vais la
voir, j'ai l'impression de la voir se retrécir, elle nous offre un sourire désolé et ose nous dire par deux fois
"ce n'est pas drôle"...Elle est très sourde et cela l'empêche de participer aux animations proposées
dans la maison. Depuis janvier, elle ne fait plus sa promenade habituelle autour de la résidence, elle a trop
trop mal aux talons...et elle perd facilement l'équilibre..Mais je vais quand même au rez de chaussée, nous
dit-elle, je m'accroche à la rampe.
Heureusement la mémoire demeure fidèle, elle se rappelle des dates avec une précision fabuleuse, elle lit le
journal de la première à la dernière ligne, elle sait qui se présente aux élections dans sa petite ville, elle
garde le souci des autres,fait un gentil sourire à sa voisine...Elle se réjouit de pouvoir nous offrir un nougat, il
lui en reste encore dans sa table de nuit...elle, bien sûr, n'en mange pas, elle n'a presque plus de dents et
elle ne peut manger que ce qui est mixé...
Nous nous embrassons très fort avant de partir....
Comment fait-elle pour garder encore le goût de la vie et savoir encore sourire?
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C'était à Lyon, il y a quatre ans.. une exposition de Bram et Geer Van Velde...
Ce qui m'a frappé, plus encore peut-être que les tableaux, c'est la vidéo qui nous le montre déjà âgé, sous la caméra de J M Maurice...
Un groupe d'une dizaine de personnes est entrée en même temps que moi dans la petite salle, pour la regarder...Beaucoup sont ressortis rapidement...Il faut dire qu'il est difficile de suivre ses propos...Il y a de longs silences...Et le suivre dans ses méandres intérieurs demande beaucoup d'attention...Mais ce qui m'attire en lui, c'est son regard...Tant de vie, tant de lumière, tant de force dans ce regard, dans ce visage émacié, dans ce corps affaibli par l'âge
Il commence par par la peinture figurative et s'en détache peu à peu pour aller à la recherche d'une image intérieure
et ses tableaux deviennent des assemblages de formes aux configurations insolites
"J'ai tout quitté, c'est la peinture qui l'a exigé, c'était tout ou rien" dit-il
Devant sa toile, il est comme devant un labyrinthe..et tant qu'il n'est pas assez vivant, il peine à s'y mettre car c'est comme entrer dans un labyrinthe ,dit-il...et ce qu'il va trouver c'est lui-même dans toute sa misère...Il veut descendre , dans ses profondeurs à lui-même cachées...
Il travaille dans un dénuement extrême, il a très peu d'outils dans son atelier. son atelier qui a longtemps été un garage....Le liquide, le fluide l'attirent car la vie elle-même est fluide, instable, insaisissable
.
"Quelque chose veut sortir de moi, quelque chose qui ne peut pas ne pas être"
Je vous reparlerai de lui peut-être car je suis encore sous son emprise...Je relis le livre que Charles Juliet a écrit après ses nombreuses rencontres avec lui...Lui aussi est frappé par son regard
"Un homme intensément présent.Ses yeux brillent avec une acuité extraordinaire et pourtant ailleurs en proie à ce qui l'habite; De grands silences très denses qui font résonner les quelques mots qu'il prononce"
"Je me sens incapable de traduire ce que je ressens face à lui, ce surcroît de vie qui afflue en moi sous l'action de ses propos.....Avec lui, toute conversation est impossible, l'échange s'effectue plus par les silences que par les mots" (rencontres avec Bram Van Velde aux éditions Fata Morgana)
J'apprécie aussi que les deux frères soient associés dans cette même exposition...
Bram est beaucoup plus connu mais c'est grâce à son frère qui l'a toujours protégé qu'il a pu donner sa pleine mesure
et ce n'est qu'après la mort de Bram que Geer s'est donné l'autorisation de peindre selon son propre style
et il me semble que l'un ne va pas sans l'autre.
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