• Enfant de salaud de Sorj Chalendon

    Après avoir fait dans Profession du père (2015), le récit romancé de son enfance avec un père mythomane et violent,

    l'écrivain et journaliste Sorj Chalandon publie Enfant de salaud, un roman encore plus ouvertement autobiographique

    dans lequel il raconte comment il a découvert la vérité sur son père. En jouant la fiction sur la temporalité,

    il entremêle habilement son histoire personnelle avec un événement historique majeur : le procès de Klaus Barbie, en 1987.

     Un héros, c’est l’image qu'un fils a de son père, qui l’abreuve depuis l’enfance des récits épiques de ses exploits

    de résistant, entre autres. "Il faut que tu saches", lâche son grand-père, un jour de colère, lui annonçant de but en blanc que

    son père avait été "du mauvais côté" pendant la guerre; ajoutant qu'il l'a aperçu vêtu de l'uniforme allemand

    place Bellecour à Lyon. D’enfant de héros, le fils passe à "enfant de salaud".

    Quelques phrases, quelques mots lâchés sans plus d'explication, ouvrent une brèche dans le récit paternel.

    Le doute s'imisce dans la tête de l'enfant. Il a dix ans, et n'a désormais plus le droit de voir son grand-père.

    Le père, lui, continuera à "fabriquer d'autres vies pour illuminer la sienne".

    Plus tard, en 1987, le fils devenu adulte et journaliste couvre pour son journal le procès du criminel de guerre nazi

    Klaus Barbie, chef de la Gestapo pendant la guerre à Lyon. "Tu crois que je pourrais assister au procès ?",

     lui demande son père. Pendant les témoignages des victimes, le père baille, ou sourit. C'est le moment

    que choisit le fils pour ouvrir le dossier judiciaire de son père exhumé à sa demande des archives départementales

    du Nord. Le fils y découvre stupéfait que son père a été condamné pour activité anti-française à cinq ans d'indignité

    nationale après la Libération. Un collabo aux mille vies, changeant d'uniforme cinq fois en quatre ans :

    engagé à 17 ans dans l'armée française, puis dans l'armée d'armistice de Pétain, puis dans la Légion tricolore,

    une milice d'extrême-droite, puis dans l'armée allemande, carrément, et enfin la dans la Résistance, à la toute fin,

    pour se racheter une conduite.

     

     

    "Le salaud, c'est le père qui m'a trahi"

     

    Ce dernier roman de Sorj Chalandon résonne comme le dénouement de toute une vie, celle de "l'enfant devenu

    journaliste pour comprendre, pour chercher la vérité. Pour qu'on arrête de me mentir", a confié Sorj Chalandon à franceinfo.

     

    Le fils découvre dans ce dossier judiciaire une vie de roman, et la détresse d'"un gamin égaré, qui rêvait d'uniformes

    de carnaval et de fusils trop lourds", un gamin sans éducation, un génie du mensonge.

    Ce père-là, le fils aurait pu le pardonner s'il avait dit la vérité. "Oui, je suis un enfant de salaud",

    mais le salaud n'est pas celui "des guerres en désordre", le salaud, c'est celui qui a trahi,

    celui "qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue".  Toute sa vie, le fils a attendu la vérité,

    celle qui lui aurait permis de se construire et de rencontrer son père.

     

    "Tu m'aurais avoué tout ça, le soir, en confident secret. Peut-être n'aurais-je pas compris, mais tu m'aurais parlé, enfin. Enfin tu te serais débarrassé de ces oripeaux militaires et tu aurais endossé un bel habit d'homme. Un costume de père."  

    Sorj Chalandon

    "Enfant de salaud", page 261

     

    Rendez-vous manqués

     

    Pendant que le fils tente de faire dire à son père la vérité, Barbie, lui, a décidé de déserter le box des accusés.

    Deux dénis, deux histoires, la grande, et l'intime,  s'entrechoquent, sur la scène de ce procès historique.

    En faisant coïncider sa guerre, celle qu'il a dû mener contre un père mythomane, "le premier de ses traîtres

    le procès d'un grand criminel de guerre, qu'il a suivi à l'époque pour le journal Libération  Sorj Chalandon questionne

    à la fois sa propre histoire et celle de la France de Vichy, et l'insondable mal qui a conduit pendant la guerre des individus

     comme Barbie à torturer avec sadisme les résistants, ou à conduire sans ciller les enfants d'Izieu, et tant d'autres,

    vers les camps de la mort.

     

     Enfant de salaud est un chant de désespoir adressé à un père qui n'a pas su aimer son fils, l'histoire aussi d'un double

    rendez-vous manqué, celui d'un fils avec son père

     

    Et moi, je me demande :comment peut-on toute sa vie nier la réalité?

     

     



  • Commentaires

    1
    Jeudi 24 Mars 2022 à 08:38

    merci pour cette lecture attentive, j'ai lu quelques livres de lui, Le petit Bonzi, Le quatrième mur mais mon préféré est "La promesse". Bises et bonne journée

    2
    Jeudi 24 Mars 2022 à 08:48

    Je n'ai rien lu de cet auteur et je dois avouer que le sujet ne me plais pas, je déteste les heurts entre parents et enfants, car je ne les comprends pas !

    3
    Jeudi 24 Mars 2022 à 08:50
    erato:

    Le manque de dialogue aboutit souvent à l'incompréhension , à l'éloignement et à une souffrance profonde .

    Une histoire très triste qui détruit les bases fondamentales d'une famille.

    Merci pour ce partage , belle journée Gazou

    4
    Jeudi 24 Mars 2022 à 11:57

    C'est en effet un sujet assez dramatique.

    5
    Jeudi 24 Mars 2022 à 16:37

    Coucou Gaziy

    Merci pour ce résumé de la vie de cet auteur inconnu pour moi ! Tout comme Livia, je n'ai guère envie de lire ce livre, je suis incapable de lire ou regarder qq chose sur la guerre 40-44 ??? Trop d'émotions qui dévastent : cela touche de trop près mes parents et grands parents ! M'ont ils génétiquement transmis leurs grandes souffrances pdt cette guerre absurde ? Curieusement, mes frères et ma soeur n'ont pas du tout cette sensiblerie, mais mon Ainé, si ! Il est incollable sur toute cette période. 

    Je t'embrasse fort, ma Gazou

    6
    Jeudi 24 Mars 2022 à 17:17

    Je découvre, merci pour ce partage Gazou.

    Bises et bon jeudi - Zaza

    7
    Jeudi 24 Mars 2022 à 21:05

    j'avais entendu à la radio, cet auteur nous parler de son dilemme ... cruelle situation ... et ton compte-rendu me le fera lire  !

    amitié .

    8
    Jeudi 24 Mars 2022 à 21:13
    Je comprends la souffrance de l'auteur Je l'avais entendu à la grande librairie. Bises.
    9
    Jeudi 24 Mars 2022 à 21:14
    Je comprends la souffrance de l'auteur Je l'avais entendu à la grande librairie. Bises.
    10
    Vendredi 25 Mars 2022 à 17:47
    daniel

    J'aime beaucoup Sorj Chalandon dont je lis régulièrement la rubrique dans le Canard Enchaîné. Les sujets qu'il aborde sont toujours très forts !!

    11
    Vendredi 25 Mars 2022 à 19:35

    Kikou Gazou,

    Un beau résumé du livre de cet enfant devenu homme.

    Aucune vraie rencontre entre l'enfant et son père.

    Un vrai drame avec des non-dits.

    Bonne soirée et bisous Gazou ♥

     

    12
    Samedi 26 Mars 2022 à 17:58

    Très bel article Gazou oui comment peut on se mentir à soi même et aux autres toute sa vie ! Certains s'inventent une réalité alternative à laquelle ils croient dur comme fer ...on voit ce phénomène se répandre en ce moment pour le plus grand malheur de tous !

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :