• Eloge de la douceur

    C'est un article de Réjane Ereau  trouvé sur INREES

    J'ai beaucoup aimé cet article et c'est pourquoi je le retranscris ici dans son intégralité...pour ne pas l'oublier...

     

    "L’histoire se passe pendant la première guerre mondiale. Un italien se cache dans la montagne avec ses hommes, avec pour ordre de défendre le col. Un soir, il entend un mouvement de troupe. Les allemands sont tout proches. Par manque de vivres et de munitions, il sera difficile de leur résister. Sans prévenir personne, il s’aventure vers le camp ennemi. A mi-chemin, il entend une chanson s’élever d’un gramophone. Bouleversé, il décide de s’avancer à découvert, un signe de reddition à la main. Capturé, il est amené à l’officier allemand. Le disque tourne toujours. Les deux hommes connaissent sa mélopée. Ils s’entretiennent toute la nuit. L’italien explique sa situation. Le lendemain, l’allemand le libère. Il ne donnera jamais l’assaut, laissant le temps à ses adversaires de se replier et de lui échapper... L’histoire est vraie, elle est rapportée par Anne Dufourmantelle dans son dernier livre. C’est une histoire de douceur.


    Révisez votre vocabulaire


    « Notre société est d’une brutalité folle. Pour mieux les lénifier, elle encense les valeurs prétendument de douceur, en les parant des atours de la mièvrerie, constate la philosophe. Elle les pervertit en en faisant une sorte de sucrerie. » Posez-vous la question, ressentez la différence. La douceur est-elle ce climat rose bonbon, où tout baigne dans le miel et la lumière ? Non, la douceur est subtilité, finesse, élégance. Elle n’est pas la gentillesse, car elle n’est pas morale. Elle n’est pas la docilité – doux ne veut pas dire obéissant, ni mou. Elle n’est pas une idée, ni même une émotion, mais une expérience charnelle, immanente – on sait instinctivement que c’est doux. Alors pourquoi la considérer comme une faiblesse ? Réfléchissez : la dureté semble donner une stature, mais est-ce vraiment le cas ? « Répliquer à la colère par la colère, à la force par la force, c’est très infantile », souligne Anne Dufourmantelle. La douceur, elle, déplace, émancipe. Parce qu’elle ne cède ni à la passion ni à l’ostentation, elle est parfois subversive. « Elle déstabilise car elle nous confronte à nos propres renoncements, et n’offre aucune prise au pouvoir. » Prenez Gandhi, Mandela, Luther King : leur positionnement prouve que la douceur peut être une puissance, une éthique.


    Faites le choix de la douceur


    Face à une situation, que décidons-nous de voir, comment décidons-nous de nous comporter ? Ce choix nous appartient, il nous confronte à nos parts d’ombre. « La vraie douceur contient en elle le germe de la brutalité, confirme Anne Dufourmantelle. Si elle n’est que passivité ou échappatoire systématique au conflit, elle est une infirmité psychologique. » Son intérêt vaut par cet équilibre subtil, le fil ténu qui la soutient, la vigilance constante qu’elle demande. « Qu’elle puisse à la fois être la plus haute expression de la sensibilité et, à chaque instant, disparaître. » Préférée à une possibilité de violence, elle est l’intention du bien… Alors allons-y. Yeux clos, confortablement installés, méditons quelques minutes matin et soir sur les moments de délicatesse et de bienveillance qui nous ont nourris. Visualisons, ressentons. Que nous ont-ils apporté, que nous ont-ils appris ? De quoi rayonnent-ils encore ? A l’inverse, quand avons-nous eu l’impression d’en manquer ? Avec quelles conséquences ? Puis disons-nous que nous allons nous ouvrir à la douceur. La percevoir, l’accueillir, la dispenser. Faire le choix de l’attention, de l’écoute, de la relation… Quitte à nous laisser toucher, dans une interdépendance bien comprise – nous avons tous à y gagner. « Un choix urgent, car la plupart des traumas trouvent leur origine dans un déficit de douceur », rappelle la psychanalyste.


    Faites-en l’expérience sensible


    La caresse d’un soleil matinal. Une noisette de beurre, fondant sur une tartine. L’herbe sous les pieds, l’eau sur le visage. Le chant d’un oiseau, le rire d’un enfant, sa peau contre la nôtre. Le plaid dans lequel on se love. La danse d’une flamme, la démarche d’un chat, la courbe d’une sculpture, deux regards qui se croisent. Le plat qui mitonne, cuisiné pour ses proches. La ressource en soi de dire avec tact des choses difficiles. La paix soudaine d’un mourant, à l’aube de son dernier soupir… Voyez comment, à bien y regarder, la douceur est partout, perceptible dans la relation sensible à toute chose. Sa puissance ne se joue pas dans les grandes résolutions, mais dans la manière dont nous regardons notre environnement, prenons un objet, abordons un étranger… « Dieu git dans les détails », confirme Anne Dufourmantelle. Faites-en l’expérience. Vous êtes en train de lire ? Ressentez la douceur du papier, le murmure des pages qui se tournent, la poésie d’une photo, l’écho inspirant de certains mots. Instantanément, la douceur provoque en nous un apaisement. Elle nous rassure, nous enveloppe. Mais ce n’est pas tout : observez comment, dans cet état d’attention, le temps s’étire, le présent prend une épaisseur feutrée, l’esprit se fond dans les sens, les sens ouvrent les portes de l’esprit.


    Voyez à quoi elle vous connecte


    La douceur crée la connexion. A l’instant, au monde, aux autres, « ainsi qu’au principe même de vie, note Anne Dufourmantelle. Un organisme ne peut advenir dans son être sans un minimum de douceur. Un œuf doit être couvé, un nouveau-né protégé… » Douceur de la soie. Par ricochet, douceur de la peau qui la frôle, de l’œil qui les contemple, du sentiment d’harmonie qui en jaillit : la douceur rayonne, elle est un point de rencontre. Entre le charnel et le spirituel – « douceur d’une matière, douceur d’une attitude : le mot est le même, on ne peut les dissocier », souligne la philosophe. Entre l’accueil et le don. Entre la contemplation et l’action. Dans cette justesse d’être, tout converge, s’aligne et prend sa cohérence. « Prenez l’art équestre », propose Anne Dufourmantelle : parce qu’il suppose l’entente de l’homme et de l’animal à un haut degré de raffinement et de complicité, il illustre l’intelligence inhérente à la douceur. « Le cheval peut être guidé, dressé, bridé, cravaché, il ne s’accordera au cavalier que si celui-ci sait trouver, à chaque fois, la légèreté de main et le mouvement dont il s’ajustera à la foulée de l’animal. » Pensez-y : que signifie « prendre soin » ? Faites l’essai : pendant une journée, mettez de la rondeur dans votre rapport au monde. Que ressentez-vous ? Que recevez-vous en retour ? N’avez-vous pas l’impression d’être plus vivant, plus fort, plus conscient ? En donnant de la substance à vos échanges, en incarnant la volonté de vous soucier de l’autre, tel qu’il est, en vous ouvrant ainsi à l’acte de compassion, vous atteignez « la quintessence du lien ».


    Laissez le charme agir


    Et ensuite ? Tenue, soutenue, la douceur a un effet non proportionnel à ce qu’elle semble être. Relisez Rimbaud et Baudelaire, voyez comment leurs vers métamorphosent l’âpreté du réel. Ancrée dans le quotidien, la douceur a le pouvoir d’en transcender le vécu ordinaire… En faire l’expérience, n’est-ce pas parfois avoir l’impression de faire corps, d’esprit à esprit, d’énergie à énergie, avec un être, une situation, une atmosphère ? N’est-ce pas se sentir soudain habité d’une assurance sereine, d’une complétude, d’une vérité ? Vérité intérieure, vérité absolue… « De ce qui n’apparaît pas dans l’apparence donnée des choses et des phénomènes, ce qui échappe à toute emprise même quand ça se donne. » Vous y êtes : la douceur est la « suavité de l’ineffable », l’indice d’un pan subtil, d’une « part divine en nous », conjugaison « de puissance et de bienveillance ». Alors en avant : en élargissant nos consciences, parfois en les bouleversant, pour faire de la place à la douceur, nous traçons le chemin vers un « rendez-vous avec soi, c’est-à-dire avec ce qui traverse et fonde une vie, une idée de justice, une manière d’aimer, de donner », de capter l’essence du monde. Puissance de la douceur, Anne Dufourmantelle
    Editions Payot (Août 2013 ; 143 pages)




  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Septembre 2014 à 23:31

    ce n'est pas tjs évident de répondre par la douceur quand on nous agresse

    2
    gazou
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 02:09

    Je suis bien d'accord avec toi,flipperine, ce n'est pas évident...mais on peut vouloir essayer...et ne pas se décourager si l'on n'y arrive pas  toujours

    3
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 07:34
    Jackie F

    Je suis convaincue que douceur et non violence font plus que force ni que rage...

    Bonne journée Gazou

    4
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 09:53

    c'est quelque chose qui vient avec l'âge

    celui qui ne répond pas passe souvent pour un mou, un couard, quelqu'un qui n'a aucune personnalité et il est pris pour cible par les autres. Ma petite fille a souffert pendant toute sa scolarité de cette apparente docilité, a été la cible de toutes les moqueries, s'est même fait agresser, battue à coup de pieds, traitée folle, mise au ban par les élèves et par   certains profs. Cette année elle a eu un 20 à l'écrit en Français au bac  ce qui est très rare en section littéraire, à l'oral, curieusement le prof ne lui en a pas laissé placer une. Elle est ressortie en pleurant parce qu'elle avait de quoi lui répondre, peut-être même plus de choses à dire que le prof lui-même, j'espère que cette année,les regards changeront à son égard.

    toutes ces paroles sont bien gentilles mais le monde n'aime pas les doux et c'est lui qui fait de nous des durs parfois,

    5
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 10:08

    Bonjour

    C'était des hommes,  pas des sauvages....

    Hélas, c'est pas toujours le cas.

    Amitiés

    Jean

    6
    Jeudi 4 Septembre 2014 à 10:24

    C'est vrai qu'on peut essayer.

    Même si ce n'est pas toujours facile.

    Passe une douce journée.

    7
    Vendredi 5 Septembre 2014 à 05:33

    Très intéressant. Et je partage cette philosophie, même si ce n'est pas toujours facile de l'appliquer.

    Bonne journée.

    8
    Vendredi 5 Septembre 2014 à 11:48
    on en demande et redemande, bonne journée
    9
    Vendredi 5 Septembre 2014 à 16:01
    Edmée De Xhavée

    Oui, ça vient avec l'âge. Mon grand-père fut interné au camp de Soest en 1943. Le commandant de ce camp était un homme très bon, qui faisait de son mieux et alla jusqu'à inviter les officiers belges et français chez lui, avec sa femme et ses enfants pour des repas. Son adjoint était lui aussi un homme remarquable, qui avait été emprisonné par les Français en 14-18 et s'était échappé pour retourner voir son épouse mourante. Il en avait gardé une grande compassion pour les prisonniers de guerre. Tous les deux sont restés en contact avec mon grand-père après sa libération, lui ont rendu visite, et ont continué d'écrire à mon père par la suite (mon grand-père est mort en 44...)

    10
    Samedi 6 Septembre 2014 à 13:07

    Un texte qui remet les idées en place. 

    11
    Mercredi 10 Septembre 2014 à 15:04

    je reviendrai lire cet article en entier .... car je partage cette importance de la douceur - bises 

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :