• Tranche de vie

    Elle me demanda de venir la voir.

    Je m'empressai.

    Elle me dit qu'elle partait à Paris le lendemain car son frère  était mort.

    -"C'était le patriarche, me dit-elle, c'était le chef de famille. Certes, c'est une délivrance pour lui, les derniers temps, il souffrait beaucoup, il n'a pas voulu que j'aille le voir car il avait trop changé....Chaque matin, il lisait plusieurs journaux, il était conscient et informé de tout ce qui se passait...et se voir ainsi dans une dépendance de plus en plus grande devait être très dur pour lui...Mais sa jeune femme lui était toute dévouée...elle ne vivait que pour lui, elle l'admirait beaucoup et, à présent, elle est toute désemparée..elle aurait voulu partir avec lui."

    Elle continue son monologue et je l'écoute attentive...

    Elle me dit encore : "J'espère que ma belle-soeur ne sera pas choquée que je ne porte pas le deuil, mais je veux me faire belle, il était si élégant, il tenait tant à ce que l'on veille à sa tenue. Je veux prendre mon tailleur blanc...D'ailleurs, dans certains pays, c'est le blanc qui est la couleur du deuil."

    Je la rassure en lui disant que le deuil se porte à l'intérieur de soi et je m'émeus devant cette vieille dame de plus de quatre vingt  ans qui veut se faire belle pour aller aux obsèques de son frère aîné...

    Me parlant à nouveau de sa belle soeur à qui elle pense constamment en ce moment, elle me dit :" je veux la réconforter, je ne plains pas mes jambes, je l'aiderai à faire toutes les formalités, je lui dirai qu'elle doit faire face pour faire plaisir à mon frère qui n'aimerait pas la voir dans cet état-là...Mais je sais que c'est dur de réagir. Quand mon mari est mort, ça était très dur pendant au moins cinq ans."

    Et elle me montre l'album de photos de son mari : il y a vingt ans qu'il est mort mais elle pense de plus en plus à lui.

    Elle devient vindicative quand elle me parle de son autre frère qui refuse de venir aux obsèques parce que la secte juive à laquelle sa femme et sa fille appartiennent et donc aussi lui-même, comment eût-il pu faire autrement, cette secte ne reconnaît pas le droit à l'incinération.

    Cette rencontre s'est passée, il y a plusieurs années, mais je la garde en mémoire comme si elle venait d'avoir lieu.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 29 Mars 2012 à 11:47

    C'est très émouvant ce partage, je me revois l'été dernier aux obsèques de ma tante, j'avais mis la tenue qu'elle aimait, c'était du vert flashi, évidemment ça a du jaser dans le bourg, mais mon habit de deuil à moi il était bien à l'intérieur. Pour le reste l'extrémisme d'où qu'il vienne n'est jamais bon conseiller à mon sens. Bonne journée

    2
    Jeudi 29 Mars 2012 à 18:31

    Il faut toujours respecter les souhaits d'un mort quelles que soient ses propres convictions

    3
    Jeudi 29 Mars 2012 à 20:37

    tu nous fais penser à la mort ... et nous ne savons pas quel sera l'au revoir que nous ferons les nôtres.

    bises 

    4
    Jeudi 29 Mars 2012 à 22:42

    Il me semble que ces considérations... couleur de la toilette, incinération ... Sont bien mesquines face à la mort...

    L'essentiel est ailleurs me semble-t-il...

    5
    Jeudi 29 Mars 2012 à 22:47

    C'est drôle de voir toutes les formes que peut revêtir le deuil !... Tu nous présentes une personne bien sympathique qui a su échanger sur ce sujet souvent douloureux qui fait se refermer les gens sur eux-même. C'est bon d'entendre quelqu'un s'exprimer sans fard. Bisous

    6
    Jeudi 29 Mars 2012 à 23:21

    Que de comportements futiles autour de la mort .C'est regrettable .  La douleur est en soi. Bonne soirée, bises Gazou

    7
    Vendredi 30 Mars 2012 à 08:26

    Au début de ton récit, je ne pensais pas du tout que la dame était si âgée. Ah les rites funéraires, quelle histoire ! Quand on est mort, on ne s'appartient plus et les rescapés nous font dire ce qu'ils veulent. 

    Belle journée Gazou, ta plume et ton style sont toujours aussi délicieux que la rosée du matin.

    8
    Vendredi 30 Mars 2012 à 17:37

    une rencontre émouvante

    9
    Samedi 31 Mars 2012 à 07:56

    Quand mon frère, plus jeune qu moi est parti, lui non plus n'a pas voulu que je le vois ainsi, si changé, avec sa bouteille d'oxygène, je l'adorais et c'est dur de l'accepter, cela reste en soi profondément, comment accepter ce départ prématuré ...

    10
    Samedi 31 Mars 2012 à 08:50

    Cette conversation m'avait beaucoup touchée puisque je m'en rappelle encore plusieurs années après...

    Bonne journée Catherine!

    11
    catherine2
    Mardi 2 Juillet 2013 à 16:25

    se faire belle face à la mort d un être aimé, respect de soi, de l'autre du grand cycle de la vie,  il faudrait s'arrêter là, quel sens cela a t il d'être fâché contre un frêre, a plus de 80 ans

     un joli texte gazou

    12
    Quichottine
    Mardi 2 Juillet 2013 à 16:25

    Tu vois, ce n'était pas hier, mais ce sont des moments qui marquent beaucoup, j'en suis émue aussi...

    Merci pour ce partage Gazou.

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