• Naissance?

      Ils étaient là, autour d'une table de café,heureuse de se retrouver comme tous les lundis soirs,après l'atelier.C'était un moment de soleil dans la grisaille quotidienne...et qu'importe si le lendemain,la fatigue leur rappelait que la nuit avait été trop courte...Ils n'étaient jamais pressés d'écourter ce partage de paroles,de rires et de chaleur qu'ils savouraient ensemble.
      Parfois pourtant,ce n'était pas la joie qui les unissait mais il leur fallait échanger les mots qui disaient la douleur de vivre et de mourir;Ainsi,un soir,à peine installés et les amis réunis,Maeva lança que l'attente d'un enfant serait pour elle quelque chose d'impossible à supporter...Un tel c hangement dans la vie,elle ne serait pas capable de l'assumer...non,pas capable de faire la place à un petit être tout neuf maisexigeant toujours plus,l'obligeant constamment à penser d'abord à lui avant de penser à elle...
      Sybil écoutait sidérée,déchirée...car elle entendait,derrière ces paroles de refus,ces paroles tranchantes et sans appel...tout ce qui n'état pas dit,tout ce qui n'osait pas se dire,qui ne pouvait pas se dire et qui faisait souffrir Maeva...Et puis  Sybil avait une expérience si totalement opposée à celle de son amie que les paroles de cette dernière ne pouvaient que l'interpeller violemment ,si violemment qu'elle en restait sans voix.
      Toute petite déjà, Sybil savait que,pour devenir elle-même,elle devait mettre au monde au moins quatre enfants:elle ne pouvait exister autrement,pensait-elle..Et pas un seul instant de sa vie,elle n'avait regretté leur présence et le temps qu'elle leur avait consacré . Bien au contraire,c'était elle qui se trouvait riche de tout ce qu'elle leur donnait ; Tant et si bien qu'elle s'inquiétât,à la naissance du quatrième...Comment pourrait-elle les laisser partir librement,ces quatre trésors,s'il étaient la seule source de sa joie,si eux seuls savaient la faire vivre ? Comment les aiderait-elle à devenir autonomes si elle-même était dans une dépendance aussi fusionnelle ?Or,pourquoi avoir des enfants si ce n'est pas pour favoriser leur liberté?
      Dès que les tâches matérielles devinrent un peu mois accaparantes,elle s'ouvrit à d'autres sources de joie et c'est pourquoi elle se trouvait,ce soir-là,à minuit passé, en compagnie de ses camarades d'atelier.Quand elle écoutait quelqu'un,qu'il lui soit proche ou non,elle désirait sentir ce que l'autre sentait,le comprendre comme si elle était à l'intérieur de lui...Elle écoutait donc Maeva avec une attention extrême...taisant l'émotion qui la faisait si fort vibrer;
      Mais ce soir-là,quel vent soufflait et faisait vibrer les masques? La vérité se tenait -elle à table tout près de nous,?
    Gilles qui,d'ordinaire,savait si bien feindre l'écoute était là et faisait écho à Maeva,il dit simplement le refus,ll'angoisse qui l'avait submergé,à la naissance de son dernier enfant,cet intrus dont on n'avait pas prévu la chambre dans la nouvelle maison familiale,...Lui,le père,il était resté plusieurs jours,sans prononcer une seule parole avec les siens...Puis il continua,tant qu'à se dénuder,lui qui était d'une pudeur extrême,il se dévoila plus encore parlant des deux avortements qu'il avait vécus avec sa femme.
        Il n'y eut pas de vagues sur le lac tranquille de leurs esprits;.tout se passait à une profondeur telle que la surface restait immobile.
      Mais quel choc violent pour Syubil ! Elle qui avait vécu chaque naissance comme un miracle...elle qui re-naissait à chaque nouvel enfant...Et voilà que ,devant elle,ses deux amis disaient que cela pouvait être mortifère et qu'ils avaient préféré provoqué l'avortement pour ne pas vivre une expérience de mort....Voilà que devant elle s'ouvrait un pan de réalité jusqu'alors méconnue.
      En elle se tissa alors une toile très fort serrée de joie et de souffrance : joie de partager une conversation où l'essentiel se dit, où chacun peut être devant l'autre ce qu'il est au plus profond de lui, joie de voir  Gilles devenir transparent alors que d'ordinaire il se cache aisément derrière des cabrioles...Joie très puissante ...et pourtant souffrance profonde de voir combien leur expérience intime est opposée.
      Dans le groupe,il y avait aussi Vicenta qui écoutait intéressée tous ce que ses amis disaient mais,moins concernée,elle pouvait plus aisément garder une distance objective et offrir à chacun d'eux une écoute authentique.
      Isaline aussi s'était tue...mais c'était là son attitude habituelle...A cette époque ,elle n'envisageait pas encore qu'elle puisse avoir quelque chose d'intéressant à dire à ses compagnons...Inquiets par son mutisme,les autres lui posaient parfois des questions;..questions malhabiles sans doute car elles ne faisaient que renforcer sa forteresse intérieure...Cependant,ce soir-là,personne ne s'inquiétait d'elle et elle essayait de n'inquièter personne,en demeurant malgré la gravité de la conversation, dans une neutralité incolore. Comme d'habitude et même plus encore,elle se tut mais au retour,dès qu'elle se sentit protégée à l'intérieur de la voiture qui la reconduisait chez elle,protégée comme dans un ventre maternel,sans rien comprendre à ce qui se passait en elle,elle éclata en sanglots...mais,hélas,simples remous,la naissance ne serait pas pour ce jour là,,simplement la nostalgie d'une vraie vie devint un peu plus grande.
      Il eut fallu que la bulle explosât, que les mots salvateurs puissent jaillir,mais eux aussi,étouffés avant que d'être nés,ils ne vinrent pas au monde;

  • Commentaires

    1
    Jeudi 16 Octobre 2008 à 09:17
    Je comprends l'attitude d'Isaline. Je crois que tu as brossé un tableau très vrai, qui peut faire mal. Passe une belle journée, Gazou.
    2
    seb
    Jeudi 16 Octobre 2008 à 09:47
    Bin... Allongeons-nous sur le divan et parlons-en...
    3
    Yog
    Jeudi 16 Octobre 2008 à 11:03
    Chaque histoire personnelle a sa raison d'être. Aussi, veiller à ne jamais être dans le jugement. Les autres sont aussi notre lumière intérieure.
    4
    Jeudi 16 Octobre 2008 à 18:55
    nous ne sommes pas tous pareils devant la naissance ; j'en ai fait aussi l'expérience ... j'ai du attendre beaucoup pour adopter mes deux enfants, et ne peux comprendre qu'on n'en veuille pas quand la vie est finalement normale (je ne parle pas de divorce, de femmes rejetées par leur famille, de soucis de santé, de pauvreté extrême) ... et je sais que les familles de trois enfants et plus sont un peu regardées bizarrement par certains je n'en dirais pas plus, cela me touche beaucoup et je ne suis pas à la place de ces personnes bonne soirée
    5
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 01:59
    Ce n'est pas tout le monde qui peut être parent. Si c'est pour rendre des enfants malheureux vaut mieux s'abstenir.
    6
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 09:20
    La vraie vie est là, à portée de main, mais qui la voit à part un nombre restreint ?
    7
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:04
    On ne peut pas savoir,à l'avance, ce que sera l'enfant que l'on va mettre au monde..On ne peut que faire confiance en la vie
    8
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:11
    Nous ne sommes pas tous pareils..Certains ont tellement de peine à supporter leur propre vie qu'ils ne peuvent logiquement pas désirer mettre un enfant au monde...D'autres,au contraire,espèrent que leur enfant leur permettra d'accéder à la vraie vie...Et parfois,cela a lieu et parfois ,c'est un désastre...De toute façon,à qui sait l'accueillir,l'enfant est source de joie et apporte beaucoup...
    9
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:23
    quand on dit"nos enfants",ce n'est pas une marque de possession,cela veut simplement dire qu'on les aime..Donc,tous les enfants,avec lesquels on a créé des liens sont un peu nôtres
    10
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:24
    très juste,on peut être en empathie avec quelqu'un sans porter un jugement sur sa propre vie
    11
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:31
    "les autres sont aussi notre lumière intérieure",j'aime bien cette phrase
    12
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:32
    est-ce une façon de dire:"n'en parlons pas..Parler,en regardant celui à qui on parle ,me semble préfèrable
    13
    Vendredi 17 Octobre 2008 à 14:34
    chacun a son propre ressenti et mérite d'être respecté
    14
    Dimanche 19 Octobre 2008 à 11:39
    C'est superbe, Gazou, j'en frissonne toute.. et je comprends Maeva et Gilles comme si c'était moi qui pourtant ai mis trois garçons au monde, et qui m'en suis réjouie chaque fois. Que donne-t-on quand on donne la vie? Est-ce nous-même qui vivons après par procuration? Est-ce pour nous-même, nous rassurer par la tendresse indéfectible des petits? Est-ce raisonnable, vraiment d'avoir un enfant pour soi? Et pourtant, on ne réfléchit pas quand on "choisit" de donner la vie. C'est soi-même qu'on donne au monde jusqu'au jour où on s'aperçoit qu'on a tout faux, que ces petits sont des êtres à part entière, qu'ils nous ressemblent si peu et qu'ils vont mourir aussi.
    15
    Suzette
    Mardi 2 Juillet 2013 à 17:05
    Beaux portraits d'hommes et de femmes qui se livrent en toute confiance leur vie intérieure devant l'arrivée désirée ou non d'un enfant. Je rejoins Yog: la vie de l'un ne conviendrait pas à l'autre; jugement et comparaison n'amènent que souffrance. Cela évite de devoir se dire: "Ah! si j'avais su!" L'affection et l'empathie ne doivent pas nécessairement amener à une remise en question de sa propre vie.
    16
    Josette
    Mardi 2 Juillet 2013 à 17:05
    L'enfant qui naît, qui meurt, ou qui ne veut pas naître . L'adulte qui le désire, qui le rejette, qui le pleure. Vivre avec, ou loin de ses enfants. Vivre avec des enfants qui ne sont pas les notres... Mais lesquels sont les notres ?Est-ce une question de femme ?Naissons-nous avec nos enfants ? Josette .
    17
    Maryse
    Mardi 2 Juillet 2013 à 17:05
    Difficile de penser comme Maeva, mais on peut la comprendre.C'est un raisonnement réfléchi.. C'est vrai on veut des enfants mais on ne sait pas s'ils vont aimer la vie... c'est faux de penser que tous nos enfants aimeront "vivre" On peut choisir de ne pas en avoir pour cette raison là. Maryse
    18
    Zilberman
    Mardi 2 Juillet 2013 à 17:05
    Comme je le disais hier soir pourquoi les êtres humains se complaisent dans les plaintes, surtout dans notre société. Et si tout le contraire arrivait ! quelle explosion d'enchantement que la vie ! Gérard
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