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Le tableau du samedi : Amani al-Ali
Amani al-Ali décrit les ténèbres de la vie quotidienne dans la région d'Idleb (nord-ouest de la Syrie),
théâtre d'intenses bombardements depuis trois mois.
"Je cherche à communiquer ce que les autres ont du mal à exprimer", explique l'artiste de 30 ans, dans son atelier,
penchée sur une tablette, stylo numérique à la main. Dominée par les jihadistes, la région d'Idleb, qui abrite environ trois millions d'habitants, est soumise depuis fin avril aux frappes du régime de Damas et de son allié russe.
Dans ses caricatures et peintures, Amani al-Ali, longue veste rouge et foulard de dentelle blanche sur la tête,dénonce notamment l'indifférence de la communauté internationale face à l'effusion de sang.
Sur l'un des croquis, le monde est ainsi dépeint en forme d'autruche enfouissant sa tête
dans un amas de crânes ensanglantés, alors que des missiles rouges pleuvent autour.
Un autre dessin intitulé l'Aïd à Idleb montre un avion de chasse larguant des bonbons remplis de TNT
au lieu des confiseries habituellement distribuées durant la célébration qui marque la fin
de la fête musulmane du ramadan.
Du noir et blanc, des tâches rouges, les couleurs des dessins s'inspirent, selon l'artiste, de la vie quotidienne des habitants de la région. "Nous ne voyons que du sang, des ténèbres et de la destruction", déplore Amani al-Ali.
"Commencer une nouvelle vie"
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), les violences ont tué plus de 780 civils
dont plus de 190 enfants depuis fin avril, en dépit d'un accord conclu en septembre entre la Russie,
allié indéfectible du régime syrien, et la Turquie, parrain de certains groupes rebelles.
Amani al-Ali n'a pas hésité à épingler ce pacte en l'esquissant sous forme de papier taché de sang.
Avant le déclenchement de la guerre en Syrie en 2011, la jeune femme enseignait les arts dans une école privée à Idleb. Mais après la conquête de la région par des groupes rebelles en 2015, elle décide de "commencer une nouvelle vie" en s'essayant à la caricature pour dépeindre les multiples réalités d'une guerre qui a fait plus de 370 000 morts et provoqué le déplacement de millions de personnes. La jeune femme, dont les croquis ont été exposés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, a réalisé ses premiers dessins en cachette car son père lui interdisait cette activité. "J'ai rompu avec les coutumes et la tradition" et dû "me confronter à mes parents pour réussir à imposer la vie que je voulais", dit-elle à l'AFP, regrettant qu'il soit mal vu dans sa société pour une femme de s'adonner à la caricature.
Éradiquer les stéréotypes
La jeune artiste n'épargne pas les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d'Al-Qaïda) qui ont pris le contrôle du nord-ouest de la Syrie, faisant fi des arrestations et assassinats ciblant les voix dissidentes. En novembre 2018, l'une des figures du soulèvement contre le régime de Damas à Idleb, également critique des groupes extrémistes, Raëd Fares, a été abattu par des inconnus. "Beaucoup de gens me disent que je devrais faire attention", admet Amani al-Ali. Un de ses dessins représente un homme barbu injectant à travers une seringue géante les interdits religieux dans le crâne d'un autre homme.
"Ce que j'entends le plus, c'est que je suis une femme et que je ne devrais pas dessiner de telles choses", rapporte l'artiste, qui pense avoir autant de fans que d'ennemis et se réjouit de voir son travail et son courage loués à l'étranger. "Lors de mon exposition au Royaume-Uni, de nombreux académiciens britanniques ont été surpris de voir une femme faire de tels dessins sous le règne (des jihadistes) de HTS", raconte-t-elle. Ses dessins sont désormais montrés en France et une exposition est en préparation en Turquie. Si la jeune artiste risque d'y être absente faute de visa, elle espère que son travail pourra contribuer à faire la lumière sur les multiples formes de violence à Idleb et à éradiquer les stéréotypes associés aux femmes dans cette région. Celles-ci ne sont pas "sans voix, incapables de quitter leur maison et toujours vêtues de noir"
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Commentaires
2eliane roiSamedi 10 Août 2019 à 09:42Magnifique article. Cette femme a le double mérite de dessiner contre la haine et la violence dans son propre pays et d'être femme. Dans ces contrées, proches du moyen-âge quant à la représentation de la femme, elle risque ni plus ni moins que sa vie à dessiner comme elle le fait. RESPECT. D'autres l'ont fait, comme dans les locaux de Charlie-Hebdo, avec les conséquences que l'on connait tous. Espérons que ses caricatures feront prendre conscience au plus grand nombre de la réalité de la désespérance des réfugiés fuyant leur pays en guerre, en tout cas pour ceux qui ne sont pas morts noyés avant d'arriver à destination.
Merci Gazou pour cet article que tout le monde devrait commenter avec son coeur et ses tripes.
J'aime beaucoup ce qu'elle fait et j'espère qu'elle n'aura jamais d'ennuis du fait de son indépendance et de sa notoriété.
Merci de nous l'avoir présentée.
Bises et douce journée.
5CéjipéSamedi 10 Août 2019 à 10:36Bonjour Gazou, Depuis février 2015, je re-caricature. Je militai syndicalement et ça ne me laissait que peu de temps. Mais l'assassina des "Charlie" m'a refait comprendre qu'un bon "crobart" était souvent plus explicite et convaincant qu'un long (ou pas) discours politique ...Mais je caricature sans risque, et en plus je me fait plaisir..... cette jeune Femme, Elle, dessine avec un Héroïsme qui donne à ses crayons et pinceaux bien plus de portée que n'importe quelle arme ou diatribe politicienne !...Ps je consulte peu de blog, mais suis abonné à celui d'Éliane
Bravo pour ce choix, et saluer le courage de cette femme artiste qui ose s'exprimer dans un pays doublement en guerre et qui risque sa vie pour cela. Souhaitons lui de survivre et de pouvoir continuer longtemps.
J'admire le courage, la ténacité et la clairvoyance de cette jeune artiste face à la violence, l'obscurantisme et la cruauté des hommes. On a tant besoin de ces femmes pour faire progresser l'humanité et protéger nos enfants....
Merci pour ton article éclairant.
C'est bien de nous parler de cette artiste courageuse face à la cruauté, au cynisme ou la lâcheté des dirigeants de notre monde
Magnifique artiste, et quel courage ! Mais le courage naît du cœur : on ne se résout jamais à l'inacceptable.
et je prends conscience davantage encore du peu de courage qui est le mien face au sien qui dans la tourmente d'une guerre cruelle envers les civils, les femmes et les enfants, ose pourfendre les interdits à l'aide de crayons et de caricatures ...
Merci Gazou de nous plonger dans son monde par la connaissance de ses dessins,
amitié .
13lenez o ventSamedi 10 Août 2019 à 17:57J'admire son courage , j'espère qu'elle ne sera pas poursuivie comme les écrivains ou journalistes.
Belle soirée Gazou
C'est risqué et courageux, ce qu'elle fait mais les artistes sont la voix du peuple muet, toujours...
la guerre est atroce ; il semble impossible qu'elle s'arrête !!! trop injuste. Bravo à cette femme . Bises
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elle a du courage en tant que femme---
bonne chance pour son visa- merci pour ta participation- bises-