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L'écriture selon Jean Sulivan
"Nul besoin d'aller en Amazonie pour écrire ni d'avoir fait des guerres : il suffit de capter le murmure incessant des mots, dans une rue, dans une chambre, par-dessous le bavardage : le presque rien qui change le sens du tout. On écrit avec ce que l'on ignore. Trop de savoir empêche. On écrirait plutôt pour connaître. Des mots inconnus surviennent. On n'a pas nécessairement la patience ni le goût de leur demander leur identité. L'oeuvre n'est qu'un exercice, un long tâtonnement, une danse d'attente qui par hasard, à des moments très rares, permet de dire ce qu'il y avait à dire. Nul ne s'en rend compte. Et l'auteur peut-être pas. De toute manière, ce n'est qu'un provisoire repos.
Impossible de se bâtir un royaume et d'échapper aux blessures ni d'observer, tapi, ni même de se prêter à l'expérience comme à un jeu. Cela doit vous tomber dessus. Les livres qui ne saignent pas ne sont pas vrais. Avoir vu naître et mourir, être mort en autrui, aimer, avoir aimé, avoir été trahi, torturé par l'absence et le mensonge; avoir maudit, avoir pardonné, avoir oublié le pardon, un jour envelopper de la même amitié ceux qui vous aiment, ceux qui vous blessèrent presque à mort, en gardant la déchirure ouverte, porter en soi en même temps la révolte et la paix souveraine, alors il peut arriver parfois qu'un chant profond s'élève...Qui ne comprend dans la chair et l'esprit que la douleur est aussi joie, ne serait-ce que par la transmutation de l'écriture, n'a jamais vécu que dans un monde d'apparences et n'a jamais écrit même s'il a beaucoup publié.
La vocation ultime de l'activité créatrice qu'est l'écriture est de rendre la vie transparente"
Jean Sulivan (Pages chez Gallimard pge 114r
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Commentaires
un grand moment de bonheur, dont je te remercie gazou...
vraiment ce propos est si juste et accède à mon coeur...
doux bisous à toi, que le soir te soit bon
Merci pour cette découverte, Gazou.
J'aime ce qu'il dit... Et ce texte va sûrement m'habiter quelque temps.
Douce soirée à toi.
"On écrit avec ce que l'on ignore. Trop de savoir empêche" : Ceci m'interpelle.
Mais le 'texte entier' est plein de vérités. Ecrire c'est plonger dans un 'inconnu' qui peut devenir familier et 'la douleur est aussi joie dans la tranmutation de l'écriture'. C'est bien vrai aussi. Un texte qui mérite toute son attention. AmitiésUn texte très intéressant !!
"(...) nul ne s'en rend compte. Et l'auteur peut-être pas ", j'y crois !!!
Il ouvre une étrange réflexion sur ce qui nous conduit à écrire. Faut-il avoir vécu, avoir "souffert" pour écrire ?
Comme si le malheur s'exprimait de façon plus intense que le bonheur...est-ce parce que la blessure peut durer plus longtemps ou mieux s'appréhender que le bonheur qui semble quelquechose de trop léger et volatile ???
"L'oeuvre n'est qu'un exercice, un long tâtonnement, une danse d'attente qui par hasard, à des moments très rares, permet de dire ce qu'il y avait à dire." Est-ce que cela suffit à "rendre la vie transparente"? J'espère y arriver un peu, mais j'ai si souvent un goût d'inachèvement. Peut-être est-ce cela qui me fait continuer mes exercices.
"On écrirait plutôt pour connaître. " Oui, c'est même toute la dimension aventureuse de l'écriture qui nous fascine autant : imaginer tout un monde, le monde intérieur d'un personnage, ses liens avec d'autres personnages qui peu à peu prennent forme à leur tour, avec des lumières, des sons, des pensées, des rêves qui se révèlent...
"Des mots inconnus surviennent. " Je me méfie tout de même de ces écrivains qui "font les beaux" ou "font joujou" avec les mots les plus étranges et un voyants, des phrases maux-de-tête et une pensée complexe à souhait... (Alain Fleischer... ) Tout le monde n'a pas le talent de Joris-Karl Huysmans... On peut alors retrouver la fameuse "écriture artiste" si justement décriée au XIXème siècle, insincère et artificielle au possible... La recherche d'une forme épurée et d'une forme d'écriture la plus humble possible est peut-être la meilleure école...
"Cela doit vous tomber dessus. " Bien sûr...D'ailleurs, "L'incommunicable" nous énerve tellement que l'on a envie de le rendre par tous les moyens "communicable"...
"Les livres qui ne saignent pas ne sont pas vrais. Avoir vu naître et mourir, être mort en autrui, aimer, avoir aimé, avoir été trahi, torturé par l'absence et le mensonge; avoir maudit, avoir pardonné, avoir oublié le pardon, un jour envelopper de la même amitié ceux qui vous aiment, ceux qui vous blessèrent presque à mort, en gardant la déchirure ouverte, porter en soi en même temps la révolte et la paix souveraine, alors il peut arriver parfois qu'un chant profond s'élève...Qui ne comprend dans la chair et l'esprit que la douleur est aussi joie, ne serait-ce que par la transmutation de l'écriture, n'a jamais vécu que dans un monde d'apparences et n'a jamais écrit même s'il a beaucoup publié. "
Bon. C'est l'expérience basique d'une existence humaine... mais je ne partage guère ce culte de... "A la recherche du Pathos... "à tout crin... Les livres qui ne saignent pas ne sont pas vrais. ". Heum... J. Sullivan serait-il omniscient pour affirmer cela ? Le "pathos" de la vie quotidienne s'impose à tout vivant, qui soit-il et quoi qu'on fasse... Cela aidera juste le livre à n'être pas trop "naïf" en ce domaine mais cette dimension ne doit pas empêcher l'oeuvre d'être lyrique... et apaisante... de faire du bien au lecteur... (autant qu'à son auteur).
Oui par contre pour : "La vocation ultime de l'activité créatrice qu'est l'écriture est de rendre la vie transparente"... je dirais, plus modestement, "essayer de la rendre un peu moins opaque, et savoir rdonner une idée fidèle de sa petite musique, un peu secrète et cristalline".
Disons qu'écrire est - devrait être - à son tour un acte d'Amour.
Amitiés à toi, Gazou, et merci de ton si gentil mot sous mes Amoureux !
Je suis ravie de t'avoir fait découvrir un auteur dont les mots te parlent avec autant de force
je suis heureuse que ce texte rencontre un tel écho et qu'il t'apporte tant de bonheur..Bon après-midi..chez nous il y amême un petit peu de soleil ..par moments.
Un sacré personnage ce Jean Sulivan...çà faisait longtemps que je n'avais pas lu ses pensées. Merci Bonne journée
merci pour ce partage très intéressant
Si chacun donnait sa petite musique, quelle merveilleuse symphonie ce serait!
Que ce Sullivan est compliqué !! Je lui oppose un simple texte de Rabelais, bien truculent, bien vivant pour dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir été torturé par le doute et scalpé par la vie pour faire oeuvre d'écrivain.
Non, je ne suis pas dans sa quête.
Le grillon
19JackieMardi 2 Juillet 2013 à 16:39Ces mots sont comme une explosion de vérité... moi qui parfois n'ose pas, lire ces lignes me transporte au delà de moi-même.
Bises Gazou.
20catherine2Mardi 2 Juillet 2013 à 16:39se poser, les yeux ouverts, et décoder ...pour écrire ou tout simplement pour se nourrir des autres
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ce texte que tu nous rapportes est très intéressant mais aussi il interpelle... Finalement doit on lire tout et n'importe quoi pour finalement n'avoir qu'un "semblant de vérité'....
Bisous
Régine