•   Longtemps il avait cru qu'il n'était pas beau.

    Chaque matin, il grimaçait devant son miroir en se rasant. Il gardait rigoureusement fermés ses cols de chemises, les poignées de ses manches aussi...tant sa poitrine et ses bras velus l'irritaient. Il lui fallut de longues années pour s'habituer à son apparence. Il n'était pas très certain, la cinquantaine venue, d'y être parvenu...mais cela ne l'inquiètait plus, beau ou laid, qu'importe, il allait son chemin, il allait le chemin de ses rêves, il ne perdait point sa vie en vains regrets. Ainsi il était...il saurait se faire aimer malgré ce corps qui lui faisait ombre.

     

      A présent, il avait acquis l'assurance qui lui avait fait défaut dans sa jeunesse...et plus il vieillissait et plus il devenait charmant et enjoleur, insaisissable et d'autant plus captivant...Il savait à merveille entretenir la tendresse que ses nombreux amis de tous âges lui accordaient...Mais il n'était jamais satisfait, il avait besoin de l'admiration et de l'amitié chaleureuse de toutes les femmes qu'il approchait...Un petit mot à celle-ci, un sourire à celle-là, une plaisanterie pour détendre l'attristée, un mot flatteur pour la coquette...à chacune il donnait la sensation d'être proche, d'être l'ami...Il inspirait confiance et s'il était de plus en plus touchant et attirant, c'est que, se dépouillant de ses peurs, il vivait de plus en plus pleinement chaque instant dans une sincérité toujours plus neuve....

     

      Lui-même n'avait pas d'âge : ses cheveux blancs lui permettaient de jouer au grand-père...mais ses pirouettes perpétuelles lui donnaient un air de jeunesse éternelle. Cet homme-là ne serait jamais unvieillard. A quatre-vingts ans

    bien sonnés, il se ferait un plaisir d'effrayer son entourage par quelque imprudence énorme...simplement pour se prouver à lui-même que sa carcasse teanait bon.

     

      Il baignait dans la tendresse des femmes et n'était pas satisfait..lui qui mettait en confiance les plus timorées, les plus isolées...il ne parvenait pas à faire confiance à ses semblables et particulièrement à ses femmes qui l'aimaient...un jour ou l'autre, l'une d'elles attendait trop de lui et brutalement se détournait, le calomniait parfois.

    -"Je finis toujours par décevoir". avoua-t-il, un soir de lassitude à une qui l'adorait....Il aimait l'amour qu'on lui portait, il aimait être aimé, certes...mais il ne voulait pas voir la souffrance de celle qui se donnait pour rien...Ah! cette joie de faire mal à la victime consentante et cette haine ensuite à celle qui vous a transformé en bourreau....Et cette crainte en suite de perdre une des couleurs de son arc-en-ciel, la plus indéfinissable peut-être...et cette tendresse infinie qui venait quand l'autre n'osait plus rien espérer...Car comment se priver de la joie d'être aimé? Comment avait-il pu blesser plus encore celle qui était déjà meurtrie?  Et le voilà qui passait du baume sur la plaie, le voilà qui redonnait espoir. Et l'amie compatissait et la paix et l'harmonie revenaient...

      On peut vivre avec une blessure ouverte, on ne peut vivre sans  amour.


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